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Le livre "La canne à mouche"

Introduction aux cannes à mouche en bambou refendu

Il y a eu le refendu, la fibre de verre, et puis le carbone est venu qui a tout balayé sur son passage. Il a apporté la légèreté, l'agrément d'emploi, un coût assez faible finalement. On peut dire que sans lui la pêche à la mouche n'aurait pu se démocratiser comme elle l'a fait. Une suprématie qui ne saurait être remise en cause, ne serait-ce que parce qu'il n'y a rien à lui opposer.

comment construire sa canne en refendu

Vraiment rien ? Pas tout à fait, sinon cet ouvrage n'aurait pas de sens. Mais avant d'en parler, qu'on me permette de reprendre une anecdote qui montre assez bien qu'en matière de cannes, nous vivons sur des préjugés. Elle est authentique, et se passe au bord de l'eau, bien sûr :
" Tiens, vous pêchez avec du refendu ? J'en ai eu un, il y a longtemps, un P. & M. C'est beau, mais c'est complètement dépassé !
– Dites-moi, cher Monsieur, quelle est la marque de votre voiture ?
– Heu … une Citroën, pourquoi ?
– Parce que j'en ai eu une, il y a longtemps, une ''Onze''. C'est beau, mais c'est complètement dépassé !
– Mais ma voiture n'a pas cinquante ans !

– Eh bien, ma canne non plus …"

Voilà le genre de dialogue idiot que la possession d'une canne en bambou est capable de vous valoir, comme si les modèles conçus il y a cinquante ou soixante ans étaient toujours l'actualité du refendu.

Le bambou

Il est vrai que l'immense majorité des cannes en bambou que l'on peut voir ou essayer à l'heure actuelle est de conception ancienne, ce qui ancre dans les esprits l'idée qu'il ne peut exister de canne en bambou qu'obsolète.
Il se trouve que ce n'est pas le cas, mais cette évolution est passée inaperçue, les rares nouveaux constructeurs qui ont franchi le pas du professionnalisme ayant eu hélas peu de succès, ou été forcés par le marché à construire des cannes rappelant l'action à laquelle les inconditionnels étaient habitués, ou bien encore à reproduire l'action ''carbone'', c'est-à-dire faire des cannes très ''douces'' d'action (traduisez : molles).

C'est dommage car la plupart avaient conçu des modèles intéressants. De plus, le coût de construction d'un refendu fait main est très élevé. De ce fait, l'évolution du bambou a été le fait d'amateurs, isolés ou non.
Il est très difficile de les dénombrer, même si une grande partie d'entre eux a été regroupée au sein du Club Français du Refendu entre 1990 et 2000, puis se retrouve sur le site club.fr.refendu.free.fr depuis que le CFR a changé de forme.
J'avais fondé ce club informel pour regrouper les amateurs, étant persuadé que nous serions au maximum une dizaine d'excités échangeant trucs et astuces. Je m'étais trompé et le CFR a compté plus de deux cent cinquante membres, multipliant les rencontres et activités sans compter quatorze stages d'initiation, au point que je n'ai bientôt plus pu faire face, mon activité professionnelle ne me le permettant pas.

Le refendu

Pour revenir plus directement au refendu, éliminons d'abord la nostalgie : je ne doute pas que je vais faire de la peine à certains, mais je m'avère incapable de lancer et de pêcher avec une canne en refendu ancienne : c'est lourd, l'action est souvent bien trop lente pour ne pas dire pesante, et je n'y trouve pas de plaisir. Leur unique suprématie sur les cannes en fibre est de mieux tenir le poisson, ce que tout le monde reconnaît. Aucune étude sérieuse n'a été faite par les grands constructeurs depuis l'époque bénie où, plus ou moins au " pifomètre " furent élaborés des modèles qui conservent un certain renom :

" Cette science toute nouvelle, que les vieux maîtres anglais avaient créée par empirisme, est avant tout affaire de tâtonnements; si nous avons pu nous-mêmes acquérir dans ce domaine un certain nombre de notions, ce n'est pas aux mathématiques que nous le devons, mais à l'obsti­nation avec laquelle nous avons lancé et encore lancé, avec toutes sortes d'engins mis à notre disposition par des fabricants aussi désireux que nous de sortir en France des choses intéressantes ".

Tony Burnand et Charles Ritz

" À la mouche "

Rendons hommage à nos aînés pour leur perspicacité et leur pugnacité dans la recherche. Mais constatons que les mathématiques n'y sont pour rien et que les résultats qu'ils ont obtenus ne découlent pas d'une démarche scientifique mais de " tâtonnements ".

Carbone et bambou

On m'objectera que c'est mieux que rien et que les cannes carbone sont des compromis entre le souhaitable et le possible comme nous le verrons plus loin, mais elles ont une légèreté qui emporte l'adhésion et un coût qui fait la différence, même avec des importateurs qui se ''goinfrent''. Et peu importe qu'elles vieillissent assez vite.

Soyons clairs: il y a de bonnes cannes dans tous les matériaux. Et du fait de la multiplicité des modèles, c'est dans les "carbone" qu'on trouve le plus grand nombre de bonnes cannes, essentiellement parce que c'est sur cette fibre et elle seule que portent les recherches actuelles. Le " haut de gamme" n'y est pas toujours le plus performant, sauf chez quelques artisans. On peut en effet se rendre compte en prenant un pied à coulisse ou en faisant quelques tests que dans une même série il n'y a pas deux éléments identiques. La conséquence est que seul un artisan est à même d'en tenir compte en habillant les fibres non par rapport à des données théo­riques, mais en fonction de chaque paramètre entrant en jeu. Ceci est capital en ce qui concerne le placement des anneaux, pierre d'achoppement de tous les habillages "usine", sans qu'il faille en exagérer la portée : nous parlons ici de cannes "haut de gamme", dans lesquelles l'augmentation de qualité croît comme le carré du prix.

Pour peu qu'elle soit correctement montée une canne carbone est sans génie, mais sans problème.

 

Il s'est pourtant installé dans les esprits un ''prêt à penser'', bien relayé par les vendeurs, décrétant que le carbone, c'était léger et le bambou, lourd, ce que les apparences semblaient confirmer. En fait, les cannes carbone ne sont plus légères que parce qu'elles sont creuses : le carbone plein est plus lourd que le bambou. Le fait qu'elles soient creuses vient de leur mode de construction par enroulement d'un tissu de carbone autour d'un mandrin, imposant de ce fait un seul type de profil, à savoir monocône.

Et c'est à partir de ce point que les difficultés commencent, et que le refendu (et non le bambou en tant que matière) reprend l'avantage. En effet s'il est facile d'enrouler un tissu autour d'un cône plus ou moins prononcé, on ne peut le faire autour d'une ogive. Il est donc impossible d'obtenir des profils complexes, ni même le profil ''normal'' obtenu par les calculs : on est obligé d'en rester à des approximations. La première conséquence au fait d'enrouler un tissu autour d'un mandrin est la plus connue : c'est la fameuse ''épine'' de la canne, qui impose le placement des anneaux sur son axe. Cette épine, partie plus raide ou au contraire plus faible du nerf de la canne correspond au recoupement entre le début et la fin de l'enroulement du tissu carbone et n'est jamais la même sur deux éléments d'une même série.

La seconde conséquence est bien moins connue et nettement plus perverse : il s'agit d'un vieillissement plus ou moins rapide de la canne, qui comme les refendus anciens travaille et fatigue plus vite en certains points qu'en d'autres. Tous les deux ou trois ans, parfois moins et parfois plus selon la qualité d'origine de leur canne carbone et la fréquence des parties de pêche, leurs utilisateurs en essayant un nouveau modèle croient découvrir quelque chose de plus performant que ce qu'ils ont. En fait ils ne savent pas qu'ils essayent pratiquement la même canne que la leur, rebaptisée, légèrement modifiée peut-être, mais surtout : neuve. Leur canne a vieilli insensiblement et ils ne pouvaient s'en rendre compte. Vous croyez que j'exagère ? Alors faites l'expérience suivante avec votre prochaine canne neuve : fixez-la horizontalement par la poignée, mesurez la distance de la tête de scion au sol, puis suspendez au bout d'un fil blanc passant par tous les anneaux une masse quelconque (on dira par souci de normalisation 100 gr.). Mesurez alors la nouvelle distance de la tête de scion au sol, puis mesurez le raccourcissement en longueur résultant du fléchissement. Eventuellement prenez une photo à une distance et selon des repères que vous noterez soigneusement. Allez à la pêche puis refaites les mêmes mesures. Je vous laisse la surprise, qui se reproduira chaque année.

Mais où veut-il donc en venir, se dit le lecteur patient ?

Précisions sur le bambou refendu

A ceci : raisonner en termes de matériau, bambou contre carbone, c'est mal poser le problème. Le profil fait l'action, non la matière. Et là, la donne change, car on peut calculer et construire en bambou des profils irréalisables avec des fibres artificielles. Cela ne veut pas dire qu'ils seront obligatoirement performants – j'en reparlerai - mais au moins ils seront réalisables.

En fait le bambou reste la seule ''fibre'' avec laquelle on puisse construire des éléments qui reproduisent le profil calculé. Ne reste plus alors qu'à alléger. Ce n'est pas la beauté – pourtant très réelle - du bambou qui importe, mais seulement le constat que c'est le seul matériau avec lequel on puisse réaliser et reproduire à l'identique des profils complexes et performants.

Les lanceurs qui ont connu le refendu puis le carbone avouent eux-mêmes que, malgré toutes les qualités des fibres artificielles, ils n'ont jamais retrouvé cette ''action'' spécifique des cannes en refendu; mais ils en attribuent le mérite au matériau. Encore une fois c'est le profil et non la matière qui fait l'action d'une canne. Et si les profils des cannes anciennes en refendu étaient empiriques, ils n'en étaient pas moins une approche réelle du problème. Le profil d'une canne carbone n'est pas calculé puisque c'est le mode de construction qui l'impose. On joue sur la conicité, mais plus la pente est forte, et plus la canne va être puissante car il faudra plus d'enroulements pour contrarier autant que faire se peut l'ovalisation. On est obligé de faire sans cesse des compromis entre des paramètres contradictoires, à commencer par le plus important : le profil ''pur'' est à l'intérieur, c'est celui du mandrin. Au-delà, on ne maîtrise plus grand-chose.

Le premier à avoir abordé scientifiquement l'action d'une canne est E.E. Garrison, qui dans les années trente élabora une méthode mathématique de calcul des profils à partir de la densité du bambou et des" moments fléchissants" que les lois de la physique permettent de calculer. Mais, outre que ses calculs sont entachés d'erreurs, il leur appliqua des courbes de contrainte correspondant à l'idée qu'il se faisait de l'action d'une canne. Le résultat est mou et lent : il n'est pour s'en convaincre que de voir le film dans lequel Garrison pêche avec une de ses cannes. D'autres personnes ont repris les calculs de Garrison, en les corrigeant, et ont réalisé des programmes de calcul. Mais la plupart y ont encore introduit des contraintes extérieures, leur ''vision'' de l'action.. Le programme élaboré par Cayre et Bodeau laisse le choix de la ''courbe de contrainte'', permettant de la faire varier ou non.

Dans les années soixante, Daniel Brémond, qui habitait alors Champagnole, élabora une méthode simple de calcul basée sur deux critères : une égale contrainte des fibres externes, afin que la canne ne vieillisse pas, et une accélération progressive de l'impulsion à partir de la poignée. Voulant répondre au reproche fait aux cannes en bambou quant à leur masse, il allégea au maximum tout ce qui pouvait l'être, et apporta deux innovations majeures : la structure alvéolaire, et l'aboutage en sifflet (''spliced'' des anglo-saxons) avec le renfort dans l'axe de la canne. Une fois assemblées, ces cannes semblent être d'un seul brin, très légères d'action, très rapides, et avec une réserve de puissance considérable. Pour avoir pêché dix-sept ans avec la même avant qu'une voiture ne roule dessus, je peux dire qu'un profil bien calculé permet à la canne de ne pas vieillir.

La canne à mouche

Après en avoir construit un certain nombre, j'eus l'idée de donner aux amateurs un outil de travail, et c'est dans ce but que j'ai écrit ''La Canne à Mouche'', à ma connaissance le seul livre en langue française sur le sujet. Il a été fait pour tous ceux chez qui le mot ''bambou'' ne provoque pas ce sourire, hélas si français, de ''celui qui sait'', sourire qui fait si bien marcher les affaires des vendeurs de ''fibre de marketing''. Et si le Club Français du Refendu doit un peu à ce premier ouvrage, cette nouvelle édition doit beaucoup au C.F.R.

Je n'ai pas voulu faire du refendu une religion, qui serait basée sur le dogme bambou. Si je construis toujours des cannes, c'est parce que c'est encore le seul matériau avec lequel on puisse, pour des cannes à truite, construire les profils qu'on souhaite, et les reproduire à l'identique. Qu'on me donne la possibilité de le faire avec un matériau plus performant, et je le ferai.

illustration canne a mouche

Un profil calculé a pour résultat une canne pliant moins sur la totalité de sa longueur, plus ''haute'' en action si elle n'est pas aussi ''longue'' au repos ; il s'en faut souvent de plus de trente centimètres. Je pêche la Dordogne avec une 230 cm (7'6) pour soie 4 / 5 !

Certains ont fait des cannes ''quadragonales'', pentagonales, octogonales, en treize brins, vrillées, que sais-je ? Ce sont de magnifiques exercices de style et d'ébénisterie, qui ont pour moi leur intérêt ailleurs que dans le domaine de la pêche. En ce qui me concerne, je construis des cannes pour qu'on puisse pêcher avec : elles sont le moyen et non le but, et je ne suis pas entré en refendu comme on entre dans les ordres. Le plus logique et le plus efficace reste la section hexagonale, aussi je m'y tiens..Toutefois si je ne cherche pas à faire des objets de vitrine, je ne sacrifie pas tout à la légèreté. L'esthétique a son mot à dire sans pour autant nuire à l'efficacité. Il ne s'agit donc pas de réaliser une œuvre d'art, mais avant tout un objet utile, ce qui n'empêche pas de le vouloir beau aussi.

La section hexagonale des cannes a un effet mécanique important: certaines fibres travaillent en expansion, d'autres en compression. Cet " effet de pince "est peut-être le banal" secret " de l'efficacité du bambou, alors que dans les cannes en fibre creuse, c'est l'ovalisation qui joue ce rôle, mais au prix d'un affaiblissement de la résistance. C'est assez caractéristique lorsque l'on tient un poisson qui dépasse les possibilités de la canne carbone : celle-ci est en arc de cercle, et ne semble plus avoir la moindre puissance de rappel. Avec un refendu, jamais la canne n'est dans cette courbe, et il reste toujours une réserve de puissance qui permet d'avoir encore son mot à dire.

Pour revenir sur les péripéties de la fabrication, il suffit de dire que c'est bien moins difficile qu'on ne le pense, comme vous le répèteront tous ceux qui l'ont fait auprès de constructeurs, au sein du CFR ou à partir des quatorze stages que j'ai organisés. Il faut du bambou (c'est le plus difficile), quelques outils simples comme une lime ou un rabot, et un gabarit de finition. Le reste n'a rien d'indispensable. L'idéal est de connaître un constructeur, qui pourra guider vos premiers pas.

 

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Canne refendu©2007 -