Accueil

 

Le montage de la canne

Le montage de la canne en bambou refendu par assemblage direct

Les viroles sont le système d’assemblage le plus répandu pour les cannes à mouche. Elles ont fait leurs preuves, même si elles ont des défauts, dont celui de s’user (encore qu’on puisse y remédier assez facilement). Les reproches que l’on peut faire aux viroles sont de deux ordres:

- la masse, qui n’est pas négligeable (environ 10 gram­mes pour les viroles Pezon, autour de 3 à 5 grammes pour des viroles plus récentes),

- l’altération de la courbe de flexion par introduction d’une zone plus raide. Même peu apparent, ce défaut affecte beaucoup l’action, même si la virole a fait partie du calcul du profil.

L’idée d’assemblage en biseau, ou assemblage direct, que les Anglais appellent " spliced", est très ancienne, et elle est encore utilisée par des pêcheurs de saumon, qui réalisent l’assemblage par une ligature en fil, plus rarement par un ruban adhésif.

construire sa canne canne à mouche en bambou refendu
Construisez vous même votre canne à pêche
avec LA CANNE A MOUCHE
édition 2009


Cette technique est totalement tombée en désuétude, et c’est fort regrettable, car l’assemblage direct est le meilleur quant à l’action de la canne, et le plus solide dans tous les cas. La comparaison entre deux cannes de profil identique mais d’assemblage différent (virole ou direct) donne sans conteste possible l’avantage à l’assemblage direct en biseau. On a la sensation que la canne ainsi montée a 15 centimètres de plus, avec du poids en moins.

La virole a pour elle sa rapidité de montage, alors que pour l’assemblage direct, il faut le temps d’installer le ruban.

Mais ce dernier a l’avantage sur tous les autres points: légèreté, qualité de l’action, solidité de l’assemblage. Donc, ce qui handicape l’assemblage direct, c’est le temps nécessaire au montage, une à deux minutes au maximum! On frise le ridicule...

Bien sûr, nous avons tous connu ces hâtes, ces préparations fébriles, ces départs fulgurants vers et dans la rivière... Et les longues attentes qui les suivent, parce que nous n’avons pas regardé les lieux, les postes, les insectes, l’ambiance en un mot.

Monter la canne, graisser si besoin la soie, enfiler sa tenue, tout cela fait déjà partie de notre séance de pêche, et permet de se préparer à entrer dans l’eau autrement que comme un hors-bord; plutôt comme une loutre en chasse, qui, après s’être lissé le pelage en observant soigneusement l’eau, se glisse doucement dans celle-ci.

Mise en oeuvre et taille du "sifflet"

Divers systèmes d’assemblage direct, ou « sifflet », ont été utilisés, mais le plus simple, pratique et facile à mettre en oeuvre est dû à Daniel Brémond. C’est celui qui est décrit ici.

coupe de la machine a tailler en sifflet machine a tailler en sifflet

En tout premier lieu, il faut prévoir chaque élément plus long de 8 à 10 centimètres au-delà de l’emplacement habituel de la virole.

On taillera d’autre part dans un brin de bambou réformé deux brins de 15 à 20 centimètres, ayant l’habituelle section triangulaire. Chaque face du triangle aura comme largeur au moins celle de l’élément sur le­quel la baguette sera collée. Ces baguettes servent de renforts sur la face opposée à celle où sera taillé le biseau : en général sur la face du " dessous" comme renfort de talon, dessus pour le scion.

Le renfort trouve sa justification dans le fait que l’affai­blissement apporté par la taille en biseau doit être compensé par ce renfort, dans le sens où la canne travaille. Nous verrons plus loin qu’en diminuant peu à peu ce renfort on obtient la courbe de flexion la plus régulière qu’il soit possible d’obtenir, donnant tout son sens à ce procédé d’assemblage.

La longueur du biseau dépend de l’épaisseur de l’élément qu’on installe dans la ma­chine à tailler: en moyenne 15 centimètres de long pour 5,5 millimètres d’épaisseur (entre plats).

taille du bambou en biseau

Pour l’avoir vu faire par Daniel Brémond, je sais qu’une taille en biseau "à main levée", sans machine, est possible.
J’admire et ne me sens pas capable d’en faire autant. Si l’on choisit cette solution, on pourra soi-même prendre la longueur du biseau que l’on désire.

On colle les renforts avant que la taille en biseau ait été faite. Il est facile de calculer la longueur des renforts, simplement en présentant un élément dans la machine. Le renfort sera collé, et l’assemblage maintenu pendant le séchage avec une ligature très serrée. Il est parfois utile de protéger le sommet du triangle que forme le renfort à l’aide d’une petite tôle pliée, ou un morceau de plastique, de façon que le fil de ligature "n’écrase" pas le sommet du triangle, en bambou moins raide puisque c’est le côté écorce du renfort qui est encollé (bien veiller à abattre la courbure externe de la section triangulaire pour former un "plat" réel de collage).

La machine à tailler en sifflet

Une fois le renfort sec, il va falloir abattre tout ce qui pourrait dépasser de chaque côté de ce renfort, afin que sa section se trouve dans le prolongement des deux faces inclinées de part et d’autre de celle sur laquelle il est collé. Il faut faire très attention pour ne pas abîmer ces faces.

au sortir de la machine à tailler

Après cela, l’élément est enfilé dans la machine à tailler. Il va peu à peu dépasser sur la face de coupe pour être taillé en biseau, à l’aide du rabot, puis de la lime et/ou du racloir.

Une fois le biseau réalisé, on fera un repère sur le scion et le talon indiquant le point exact de recoupement des éléments. Par diminutions successives des renforts et essais de flexions de la canne assemblée, on devra peu à peu obtenir une courbe de flexion régulière.

Elément final. Le sifflet est verni avec de l'époxy.

Pour réaliser l’assemblage, nous utilisons un ruban adhésif translucide. Le meilleur pour cette utilisation particulière me semble être le Scotch 550, en largeur 12 mm.

Il est enroulé mécaniquement autour d’un bobineau en bois dur. J’assemble les éléments en faisant deux enroulements croisés.

Bobineaux en olivier

 

Comme je construis en général des cannes courtes, je les rentre en entier dans ma voiture lors des déplacements d’une journée de pêche.

 

 

L'assemblage par ténon

En 1982, au cours de conversations avec le peintre Jean-Claude Schaeffer, puis avec Claude Bodier, nous passions en revue les avantages et inconvénients des viroles et de l’assemblage direct, lorsque l’idée jaillit: pourquoi ne pas percer le scion et le talon, et faire un emmanchement avec une fibre de carbone ?

À l’origine, il me semblait que la fibre de carbone pouvait pénétrer directement dans le bambou; ce qui n’était pas une bonne option.
Je fis quelques essais de perçage qui ne menèrent à rien car il manquait l’essentiel: un tour à métaux de précision. Faute d’en posséder un, je "’laissai tomber", d’autant que Claude Bodier ne semblait pas trouver le système intéressant.

Perçage pour assemblage par tenon.

C’est en 1988 environ que Jacky Marquet reprit l’idée pour Pezon et Michel, et la perfectionna de façon décisive. Il comprit très vite qu’il fallait que le tenon (partie mâle) s’emmanchât non pas dans le bambou, mais dans une fibre de carbone ayant la même conicité ; cela supposait que le trou percé dans le bambou côté "femelle" soit nettement plus grand que le tenon, afin d’accueillir une fibre creuse.
Pour ces raisons, Jacky Marquet eut l’idée d’inverser l’emmanchement: le trou de la partie mâle (tenon) serait percé dans le scion, et c’est le talon qui accueillerait la fibre creuse.

C’est le système utilisé par Pezon et Michel, qui a pris un brevet, pour certaines séries de cannes.

Les avantages sont considérables: pour la première fois dans l’histoire du refendu, le montage de la canne s’effectue aussi facilement que pour les cannes en fibre artificielle, qui perdent là un de leurs rares avantages.

Au niveau de l’influence sur l’action, ce système se situe entre la peu pratique virole et l’assemblage direct, qui reste de loin le plus performant au plan de l’action.

Assemblage par tenon

Bien sûr, le lecteur aura compris que la mise en oeuvre d’un tel système d’assemblage nécessite un tour à métaux. On peut imaginer de préparer des alvéoles avant collage, et de les agrandir ensuite avec une mèche de perceuse. (…)

Bien sûr les puristes, les « intégristes» du bambou, objecteront que cet assemblage carbone n’est pas digne du noble matériau, et qu’il est laid, ce qui n’est pas dénué de fondement.

Mais, outre qu’on peut masquer la partie apparente du carbone par du liège, je ne puis que répéter que, si j’apprécie la beauté formelle du bambou, ce sont d’abord ses qualités mécaniques et les possibilités qu’il offre qui font que je le préfère aux fibres artificielles. Une belle Citroën "traction avant" est plus jolie, et moins performante qu’une voiture récente de la même marque ou d’une autre; une canne moderne en refendu est plus belle ET plus performante qu’une canne en fibres artificielles.

Parler seulement de la "noblesse" du bambou c’est, quelque part, l’enterrer. L’emmanchement carbone est pratique, donc je l’adopte ; je le préfèrerais de même couleur que le bambou, et c’est tout

Les viroles

Les viroles actuelles sont presque toutes à base de maillechort (cuivre, zinc, nickel, plus fer et étain parfois) bruni à l’acide.

On s’est servi de viroles en cuivre ou en laiton nickelé un certain temps, et il m’arrive encore d’utiliser ces dernières pour réaliser les emmanchements de poignées de combat dans les cannes à saumon à une main ; mais les viroles à base de maillechort ont emporté la décision pour tous les constructeurs de belles cannes.

Elles sont relativement légères : environ 10,5 grammes pour un diamètre intérieur de 8 millimètres, et assez solides. Mais elles ne sont pas exemptes de défauts, dont le plus important est qu’elles altèrent l’action de la canne en introduisant un point raide.

Un autre défaut, et qui augmente le premier, est qu’elles sont trop longues, les fabricants ayant fait un compromis entre une légèreté souhaitable et une solidité qui doit être plus élevée que nécessaire afin de pouvoir convenir à tous les genres d’utilisateurs, même peu soigneux. Nous verrons plus loin comment pallier en partie l’un et l’autre de ces défauts.

De par la qualité de leur usinage, les viroles américaines me semblent, et de loin, supérieures aux françaises. Leur ajustage d’origine est parfait, et le résultat en est qu’elles ne s’usent pratiquement pas. Mais il est difficile de se les procurer, aussi est-on amené à se servir surtout des viroles françaises.
Elles sont d’ailleurs de bonne qualité en ce qui concerne l’alliage, mais il faut les préparer longuement, en particulier pour ce qui est de l’ajustage. De plus, elles s’usent vite si on ne prend pas la précaution de frotter la partie mâle avec de la paraffine avant utilisation.

En fait, ce problème des viroles est assez irritant, car la technologie actuelle permettrait de les fabriquer avec une plus grande précision, et peut-être avec des alliages plus performants.

Mais les viroles n’intéressent que ceux qui pratiquent le bambou, et sur notre vieux continent ils sont peu nombreux; ou bien ils pensent qu’il n’est pas nécessaire de se servir d’alliages nouveaux et d avoir une plus grande précision dans la fabrication de viroles montées sur un matériau — le bambou — qui leur paraît dépassé. Même s’ils vendent du refendu, ils croient que le jeu n’en vaut pas la chandelle, et n’innovent plus.

Note 2006: voir le site Le vieux moucheur pour se faire des viroles en maillechort ARCAP AP 1 D (moins de 4 grammes en 6mm).

L'allègement et la préparation des viroles

Nous avons déjà vu que les viroles sont en général trop renforcées — du moins pour un amateur soigneux de son matériel — et que leur longueur excessive casse l’action de la canne. Il est possible de les alléger en les raccourcissant. (…)

Le montage des viroles sur l'élément

En général, les cannes françaises ont des viroles dont le diamètre (intérieur virole femelle) est celui de l’élément talon, mesuré entre plats.

La partie de l’élément qui accueille la virole est donc légèrement tournée pour abattre les angles. Mais si l’on songe que dans un profil régulier, le bas du scion a la même épaisseur que le haut du talon, cela veut dire que le désépaississement du bas du scion sera augmenté de près d’un millimètre, car il doit pénétrer, non plus dans la virole femelle, mais dans la mâle, par définition plus petite pour sa partie intérieure, qui reçoit la fibre de bambou.

(…)

On peut aussi, pour faire cela, se servir de deux limes plates accolées et ligaturées par le bout alors qu’une cale les écarte au talon, et dont les pointes sont aussi ligaturées. Cela fait un outil abrasif dans lequel on peut faire tourner la partie à réduire. Il faut toutefois faire de fréquentes vérifications, car il y a des risques d’ovalisation. L’idéal est de disposer d’un tour à métaux.

Le bon diamètre est obtenu lorsque les viroles pénètrent sans trop forcer sur l’élément qui les accueille. La colle utilisée est à nouveau une résine époxyde (Araldite Standard). Et là encore le sèche-cheveux est bien utile pour fluidifier la résine.

Pour parfaire le collage, on ligature les languettes avec un fil de lin ou de métal à spires très serrées afin qu’elles adhèrent bien à la fibre. C’est important pour la beauté de la ligature qui les recouvrira.

Quand la colle est bien sèche, on réalise un premier assemblage qui permet de vérifier la rectitude de l’emmanchement, lequel nécessite fréquemment un dernier dressage de la fibre. On choisit à ce moment quels sont les "plats" du talon et du scion qui se prolongent le mieux et on les marque.

La canne étant munie d’un système d’assemblage est prête pour son habillage final.

Note 2007: Il est possible de se passer totalement de virole en modifiant le profil du scion de telle façon que son extrémité côté talon soit épaissie puis creusée avant collage (comme pour réaliser un alvéole) pour accueillir l’extrémité du talon. La mise en œuvre est très délicate.

 

 

 

 

 

pecheur à la mouche en action

 

 

haut

 

Canne refendu©2007 -