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La canne en action

Pêcher avec une canne à mouche en bambou refendu

Nous y voilà ! De toute la littérature et la publicité consacrées à l’objet de notre passion, on peut dire sans crainte que la partie "action" est certainement la plus faible, et celle qui cerne le moins ce qu’elle prétend décrire.

Son discours est assez semblable à celui que des marchands avisés vous tiennent sur les vins en jouant sur votre snobisme, à ceci près qu’en matière de vins il y a réellement des gens dont les capacités d’analyse leur permettent de savoir de quoi ils parlent.

construire sa canne a mouche
Construisez vous même votre canne à pêche
avec LA CANNE A MOUCHE
édition 2009


Eliminons d’entrée le discours publicitaire, et en particulier celui qui veut faire croire à un discours "scientifique" sur l’action. Il se fait en général à l’aide de croquis censés représenter cette "action", que celle-ci soit "de pointe", "moyenne", "lente", ou "parabolique".

Evidemment, ces croquis ne correspondent en rien à la courbe de la canne en action, et pas non plus à sa "courbe passive", celle que la canne prend lorsqu’on tient un poisson (ou qu’on s’accroche !). Ces croquis sont-ils pour autant inexacts ? Pas totalement, puisqu’ils correspondent à une sensation. En fait, ils sont des métaphores de cette sensation, des représentations symboliques. Mais les voir repris dans des ouvrages ou des articles discourant doctement sur "l’action des cannes" me paraît être un abus. En fait, si chacun sait "ressentir’ l’action d’une canne, personne n’est capable de la définir, et moi-même pas plus que les autres. On s’aperçoit vite qu’il y a le vocabulaire, mais pas seulement.

A défaut de jouer les gourous et d’édicter des dogmes, je vais tenter de cerner ce qui peut l’être.

Que doit-on demander à une canne ? D’abord d’être légère, non pas tant sur la balance qu’en action puisque c’est la répartition de la masse en mouvement (canne + soie sortie) sur la longueur de la canne qui crée la sensation de poids, et l’inertie joue un grand rôle. Par exemple, moins la canne plie et plus vous aurez, pour une masse de soie sortie équivalente, une sensation de légèreté. Une canne peut être légère en poids "à vide", sans soie sortie, mais être très "lourde" d’action, en particulier si elle plie beaucoup. Il ne faudrait pas confondre douceur et mollesse.

Une chose m’inquiète lorsque je regarde des sites internet sur le refendu : les constructeurs ont tendance à oublier que les cannes à pêche sont faites pour … pêcher ! En effet, un délire d’innovation – par ailleurs sympathique – semble s’être emparé de certains d’entre eux. Un grand nombre d’inventions, astucieuses ou remarquables au niveau du travail du bois, se font au détriment de l’efficacité et de l’action. Tout se passe comme s’il s’agissait de réaliser la canne la plus difficile à construire, ou la plus proche de la "pureté" dans l’approche de la construction.

Le problème, c’est que chaque fois que j’en essaye une, je me fais la même réflexion : « Voilà qui fait du tort à l’image du bambou refendu" ». De purs exercices de style. Cela me fait me souvenir d’un ancien élève qui avait tenu à me revoir après des années, n’ayant sans doute pas gardé un trop mauvais souvenir de mes cours. Il était devenu ébéniste et voulait me montrer son "chef d’œuvre" de compagnon. Du point de vue du moyen - l’ébénisterie - c’était assez prodigieux, un travail admirable. Du point de vue esthétique - le but - c’était carrément atroce!

Tant qu’il ne s’agit que de l’habillage, et pour autant que cela n’alourdisse pas trop la canne, ce n’est pas grave : porte-moulinet surchargé de métal, viroles gravées "façon chasse", etc… Je donne moi-même dans ce style avec mes porte-moulinet en cade incrusté, et mes culots et bagues en laiton là où du liège et deux bagues seraient nettement plus légers.

Cela se gâte dès que l’action de la canne est en cause. En effet, même si on introduit dans le calcul du profil de nouveaux paramètres, on oublie une donnée essentielle, qui est que l’ordinateur ne nous donne que les conséquences de nos choix. Il va nous sortir un profil, et alors ? Si je n’en donne que peu dans cet ouvrage, c’est parce que l’ordinateur ne maîtrise pas tout : il faut que le résultat soit bon une fois la construction achevée, que cela donne une canne agréable et performante. Et les bonnes cannes, celles reconnues comme telles par les gens qui les utilisent, ne sont pas si nombreuses qu’on ne puisse les regrouper en une dizaine de profils "génériques" déclinés dans des longueurs proches.

En clair, il faut savoir si la construction est un moyen – réaliser une canne qui va devenir notre engin de pêche habituel – ou un but en soi. Et je suis toujours étonné de voir que lorsque certains constructeurs se rencontrent ils regardent les cannes des autres, les examinent, commentent la finition, l’apparence, la qualité du travail, bien plus qu’ils ne les essayent. Et que veut dire "essayer" ? Tirer quelques mètres de soie puis allonger la distance pour voir "jusqu’où elle va", faire quelques posés, est-ce suffisant ? Je pense qu’il faut avoir pêché et pris du poisson pour connaître une canne.

Profils d'une canne

Voilà une question qui agite bien du monde, et dont les approches sont assez contrastées. A l’aube du bambou refendu et pendant des décennies, je ne suis même pas certain que l’on s’en souciait vraiment. Il suffisait que la canne puisse projeter la soie en avant en un seul posé sans avoir réellement à la porter en l’air dans des allers-retours. On pêchait beaucoup en noyée, et la pêche en mouche sèche était assez proche de la technique de la "volante". Les cannes étaient très longues, lourdes et portaient néanmoins des soies légères car elles étaient très "souples" (on dirait aujourd’hui : très molles). Peu à peu toutefois a émergé la notion de profil mesuré, et sa reproduction en série. Mais il a fallu attendre des gens comme E. E. GARRISON pour voir apparaître une approche réellement scientifique du calcul de profils à partir de données physiques sur la capacité et les caractéristiques mécanique du matériau bambou. On regardera avec profit le site http://levieuxmoucheur.free.fr/nouveautes.htm sur la résistance du bambou.

Mais si les données sont une chose, ce qu’on en fait est autre chose, et cela n’a pas empêché que le "’pifomètre" prévale encore, soit dans l’élaboration de la méthode de calcul à partir des données théoriques, soit en se passant de ces données. C’est le cas de ce qu’on peut appeler « l’école française », avec Ritz, Barbellion, Creusevaut, tous participant à la création par Pezon et Michel d’un grand nombre apparent de modèles qui dérivaient en fait de trois ou quatre "profils génériques".

« Cette science toute nouvelle, que les vieux maîtres anglais avaient créée par empirisme, est avant tout affaire de tâtonnements; si nousavons pu nous-mêmes acquérir dans ce domaine un certain nombre de notions, ce n’est pas aux mathématiques que nous le devons, mais à l’obsti­nation avec laquelle nous avons lancé et encore lancé, avec toutes sortes d’engins mis à notre disposition par des fabricants aussi désireux que nous de sortir en France des choses intéressantes ».
Tony Burnand et Charles Ritz : " À la mouche "

A l’apparition des ordinateurs on a vu apparaître un grand nombre de programmes de calculs, dont la facilité d’emploi et les paramètres possibles sont devenus de plus en plus importants au fil du temps.

Calculs et ordinateurs.

De quoi s’agit-il ?
De lancer et de poser une mouche qui ne pèse quasiment rien, attachée à un fil fixé au bout d’une soie qui, elle, pèse quelque chose. Traduit en langage pseudo mathématique cela donne : projeter à une distance X une masse Y représentant une longueur de soie Z. A partir de là et en tenant compte des "moments fléchissants" (en gros : élasticité) du bambou, de sa densité et des courbes de contrainte applicables à la canne en différents points, et en jouant sur ces paramètres, il est possible de calculer des profils qui se traduisent par des valeurs de cotes extérieures de la canne mesurées sur plats tous les cinq ou dix centimètres dans le système métrique et tous les 5’ (12,7 cm) dans le système américain (on en déduira que le système métrique est plus précis). Tous les calculs ont abouti à des programmes informatiques plus ou moins élaborés et complexes. On peut y choisir divers paramètres : la longueur de la canne, la densité du bambou (en général 1,15), le facteur d’impact, la courbe de contrainte, le poids et le positionnement des anneaux, du vernis, l’épaisseur de bambou que l’on laisse dans le cas des cannes alvéolées et même la répartition de ces épaisseurs. Qu’il me suffise toutefois de dire que, s’il a le défaut d’être assez "spartiate" d’emploi, le programme élaboré par Daniel Brémond utilise à l’origine une simple calculette programmable, et qu’à partir d’un profil générique calculé, son extrapolation a donné les deux meilleurs profils que je connaisse.

Peut-on obtenir une canne d’action "parfaite" à l’aide de calculs ? Ma réponse personnelle est nette : non. L’approche "sensitive" (pour ne pas dire "pifométrique") est-elle meilleure ? Encore moins ! Alors ?

Alors il ne faut pas demander aux calculs ce qu’ils ne peuvent nous donner et aux sensations autre chose que de constater des résultats. Les calculs et leur application sous forme de programmes informatiques sont une aide précieuse, une base de départ. Ils ne sont pas une panacée et comme me l’avait écrit M. LEBRETON, ils « ne nous donnent que les conséquences de nos choix ». A partir du meilleur programme qui soit on peut faire n’importe quoi, dans tous les sens. Pour me résumer : les calculs mathématiques sont une approche nécessaire qui n'est pas suffisante. Nécessaire par rapport aux lois de la physique et à la longévité de la canne si vous partez sur la notion d’égale contrainte des fibres externes (toute la canne travaille et aucune partie plus qu'une autre), mais non suffisante : cela ne veut pas dire que le résultat est pour autant agréable. Si BREMOND ne souhaitait pas voir sa méthode de calcul publiée, c'est parce qu’il savait qu'en partant de ses calculs on pouvait faire de mauvaises cannes, puisqu'il suffit de rentrer des données (par exemple : canne de 4 mètres pour soie de 3 ; le programme vous sortira un profil mathématiquement cohérent, mais absurde en tant que canne à pêche). Il en est de même pour toutes les méthodes mathématiques, dès lors qu'on outrepasse les possibilités du bambou ou qu'on met le pifomètre dans l’élaboration du profil proprement dit. Ce que Garrison avait fait, lui qui pourtant s'était donné tout le mal de faire les calculs nécessaires.

Pourquoi ces programmes bien que très utiles sont-ils insuffisants ? Tout simplement parce qu’ils ne tiennent compte que de la projection de la masse Y (la soie) vers l’avant ou l’arrière comme si la canne n’avait qu’à fléchir une seule fois dans un sens ou dans l’autre à l’instar de ce qui se passe dans la projection d’un leurre par une canne à lancer, mais sans avoir à passer instantanément dans l’autre sens, sans donc intégrer le fait que lorsque vous sortez peu à peu de la soie, la canne doit plier dans les deux sens. En effet les calculs de profils, si performants soient-ils, nous parlent de cannes qui ne lanceraient que d’un côté, vers l’avant ou vers l’arrière, mais pas les deux EN MÊME TEMPS. Ce que j’écris là paraît absurde puisque la soie est projetée vers l’avant OU vers l’arrière. Mais c’est oublier que, alors que la canne est pliée d’un côté (par exemple vers l’avant) et tendue par la soie projetée, nous lui demandons de se plier en sens contraire en donnant une impulsion dont l’onde de propagation partant du talon est envoyée et propagée avant que la courbe précédente soit achevée. Précisons : lorsque vous projetez vers l’avant, votre canne plie pour projeter la soie. Mais cela ne s’arrête pas là et sa pliure n’est pas encore complète que votre main lui impose de repartir dans l’autre sens, lui imposant une sorte de contre-réaction. Pour schématiser, si la pliure de la canne dans un seul sens peut être comparée à sa courbe "passive" (quand vous tenez un poisson), une courbe qui aurait la forme d’un "C", sa courbe active serait un "S". En pratique, aucune canne ne peut se mettre en "S" visible, ou alors il s’agit d’une nouille. Mais du point de vue du comportement vibratoire, c’est bien ce qui se passe. Si des photos de la canne en action montrent une seule courbe plus ou moins prononcée, le comportement vibratoire réel mais non apparent représentant la transmission de l’impulsion s’apparente bien à un "S".

Tout ce qu’on appelle "l’action" est contenu dans ce passage d’un état à un autre.

La maîtrise qui nous manque, c’est celle du comportement ondulatoire des cannes en action. Comment l’onde se propage-t-elle dans la canne ? Johannes ROBIN, dans "La canne à mouche, objet d’art" a un peu abordé le problème, mais sans creuser le sujet. Selon lui, la canne doit vibrer en "quart d’onde", ce qui ne nous avance guère mais nous donne une piste qu’il faudrait suivre. Dans le film réalisé sur Garrison, on voit une de ses cannes fonctionner au ralenti, et une onde "parasite" apparaît clairement au milieu de la canne ; ce film a confirmé ce que les essais de cannes aux profils Garrison m’avaient fait pressentir, et m’a fait abandonner ces profils. C’est la raison pour laquelle le lecteur ne les trouvera pas dans cette nouvelle édition. Sans vouloir préjuger de résultats d’études qui restent à faire, il me semble que cette onde parasite doit être contrariée, et il est caractéristique que deux des cannes préférées de mes amis (Alcibiade et Bourrasque) soient des extrapolations par épaississement du talon d’un profil calculé dont l’original, pourtant performant, n’a pas le "punch" de ses déclinaisons.

Après beaucoup de cannes réalisées je suis persuadé que le secret d’un bon profil tient dans la modification apportée au résultat des calculs informatiques. Il s’agit de créer dans la partie inférieure de la canne un surépaississement par rapport au profil théorique, cela afin de contrarier et d’absorber la contre-vibration générée lors du renversement de flexion.

 

 

pecheur à la mouche en action

 

 

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Canne refendu©2007 -